Juin… 5h10 ou 15… Voici l’instant que je préfère. L’heure où le rêve replie ses ailes d’infini précieux… L’heure aux mille chants de liberté plumes…
Cher ami Pyc,
Tu es un homme délicat, hypersensible, toujours à l’écoute des autres… tes mots, si durs envers toi-même, ne sont que tendresse et douceur pour autrui. Tu m’as tant donné qu’à mon tour je désirais te gâter un peu. Mais comment? Ma Muse n’en fait qu’à sa tête depuis plusieurs mois… Incapable de sortir un poème qui me satisfasse, ton dernier commentaire m’a tendu une clef. Tu as émis ce vœu: » J’aimerais te suivre pour que tu me fasses visiter ce beau jardin qui éveille de si jolis mots en toi! » Alors… prends ma main pour une visite guidée très privée…
Écoute… le silence appartient aux merles. Ils le poinçonnent de notes cristallines, joyeuses ou impérieuses. Vois, à l’ourlet du chéneau, le mien n’est pas en reste. Petit et vindicatif, il garde son territoire, se grandit de trilles à faire pâlir d’envie un ténor Italien! Concerts flûtes, sifflets et claquements de bec, saluent la naissance du jour. L’aube assouplit ses harmonies, glissant du bleu de Prusse au céladon… nacre la Montagne Noire D’un timide rosé…flatte et abandonne aux premières flèches soleil les courbes de l’Alaric.
Respire Pierre-Yves… lentement… profondément. Nourris-toi du parler des fleurs, écharpe mousseline d’invisible séduction. Délecte-toi du poivré des œillets. Printemps, prodigue en pluies cette année, a gonflé leur exubérance. Mignardises et Chabots se pressent, coussins fragiles et musqués au pied des iris.
Ah mes iris! Mes bijoux! Aux quatre coins de mon « royaume », une vingtaine de variétés dressent leurs lames, puis leurs arabesques sophistiquées de Mars à Début Juin. Approche-toi de celui-ci. Admire sa carnation virginale ceinte de lumière. Hume le surprenant Chocolaté de sa barbe rosat. Remarque cette tête jumelle quêtant notre attention. Frère du précédent, ce Germanica incline sa jalousie rose fumé, exhibe sans pudeur une gorge neigeuse à l’ensorcelant arôme mandarine. Ça tourne un peu la tête, hein? Faut dire, qu’en passant, nous avons effleuré le vert argenté des sauges officinales. Leurs fragrances piquantes, aux vertus médicinales, s’imposent, obsédantes, enivrantes… Leurs épis bleu-parme attireront les papillons tout à l’heure lorsque l’air tremblera de chaleur. Cela ne gène guère le zèle
industrieux du gros bourdon. Ce « Rapetou » est toujours un des premiers à s’inviter au banquet. Attention! Regarde où tu poses tes pieds cher poète. Le laissez-aller de la pelouse est trompeur.Plusieurs orchidées indigènes, précieusement chouchoutées, la colonisent petit à petit de leur mystère. Tu découvres là mon petit côté sauvage… Rapproche-toi encore un peu que je te présente quelqu’un de très farouche. Voici » Pattes en Croix », araignée, fileuse de son état. Entre lilas et folle-avoine, d’un doigt léger, l’aurore trahit l’ogresse; diamante l’indécelable attente, soierie délicatement mortelle. En témoignent ces deux ou trois momies solidement engluées… Brrrrrrr! Bien qu’utile, elle me fait froid dans le dos. L’horloge du village égrène six coups au delà de mon mur diffus d’arbousiers, cyprès, lauriers et autres forsythias… Il va être temps de se quitter. Un dernier coup d’oeil à cet éclat corail que
j’aperçois près des euphorbes… Ohhhhh! Quel joyau! C’est une petite » bête à Bon Dieu ». Une coccinelle rouge d’émotion d’être surprise agrippée au parfum lavandin. Le soleil pianissimo… escalade la haie, platine la floraison olivier, lustre le frileux d’un lézard, réveille l’épicé curry de l’helichrysum… et tant d’autres encore… arbustes, pétales, minuscules habitants dont je n’ai pas eu le temps de parler…
Martinets et hirondelles, escadrilles prolixes, s’emparent de l’azuréen, dessinent le destin de mille vies moustiques. Cher Pierre-Yves, c’est sous leur joyeux tapage que je te rends ta main. Emporte avec toi l’euphorie simple et merveilleuse qu’offre la nature. Mon amitié t’accompagne…
1: Mignardise et Chabot: variétés d’oeillets au parfum très puissant
2: Rapetou: héros de dessins animés du monde de Walt Disney. Ce sont des gangsters, membres d’une même famille, dont l’idée fixe est de voler la montagne d’argent de l’Oncle Picsou.
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